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JEANNE D’ARC.

fondeur de l’eau et la vase du bout de sa lance, et faisait combler le fossé de fascines par les soldats, tout en agitant sa bannière et en criant à la ville rebelle de se rendre, quand une flèche lui traversa la jambe, et la jeta évanouie sur un monceau de morts et de blessés.

On la transporta sur le revers de la berge du fossé, où les flèches et les feux passaient par-dessus sa tête, et on l’étendit sur l’herbe pour arracher la flèche de la blessure. Elle retrouva la voix et le geste pour encourager les siens à l’assaut. Les vaillants chevaliers la suppliaient en vain de se laisser rapporter au camp, les flèches et les boulets labouraient en vain la terre autour d’elle, les fossés se comblaient en vain de cadavres, elle s’obstinait à la victoire ou à la mort. On eût dit que c’était le dernier assaut qu’elle donnait elle-même à sa fortune. Le duc d’Alençon, tremblant de perdre en elle l’âme et la foi de l’armée, fut forcé d’accourir lui-même, et de l’enlever dans les bras de ses soldats du champ de carnage où elle voulait mourir. La nuit couvrait les murs et la plaine. Les généraux du roi firent silencieusement retirer les troupes. Pour dérober leurs pertes aux regards des Parisiens au retour du jour, ils relevèrent les morts des bords du fossé. Ils les entassèrent comme dans un bûcher dans la grange de la ferme des Mathurins, et ils les brûlèrent pendant les ténèbres, pour ne laisser que de la cendre aux Anglais.

Ce revers, confondant avec tant d’éclat les prophéties de Jeanne d’Arc, fut le premier démenti du ciel à son esprit divinatoire, et la première atteinte au prestige populaire de son infaillibilité. Elle commença elle-même à douter d’elle-même. Son esprit chancela avec sa fortune. Elle s’humilia devant Dieu et devant le roi, et, renonçant à la guerre, elle suspendit son armure blanche et son épée sur le tombeau de saint Denis, dans la basilique. Mais le roi et les chevaliers la supplièrent tellement de les reprendre, et