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JEANNE D’ARC.

où il plaira à Dieu. J’ai fait ce que mon Seigneur m’avait chargée de faire. Je voudrais bien maintenant qu’il lui plût de m’envoyer garder mes moutons, avec ma sœur et ma mère ! »

Elle commençait à sentir ce doute de l’avenir qui saisit l’héroïsme, le génie, la vertu même, quand ils ont achevé la première moitié de toute grande œuvre humaine, la montée et la victoire, et qu’il ne leur reste plus que la seconde moitié, la descente et le martyre. Elle commençait à entendre ces voix, non plus du ciel, mais du foyer, qui rappellent en vain l’homme, découragé de ses ambitions et de ses gloires, au toit de ses premières tendresses, aux humbles occupations de son enfance, et à l’obscurité de ses premiers jours.

Pauvre Jeanne, pourquoi n’écouta-t-elle pas ces voix ?… Mais Dieu lui destinait un sort achevé. Il n’y en a point sans l’iniquité des hommes, et sans le martyre pour son pays.

Le génie dans l’action est une inspiration du cœur ; mais cette inspiration elle-même a besoin d’être servie par les circonstances. Quand ces circonstances extrêmes, qui produisent en nous cette tension de toutes nos facultés qu’on appelle génie, s’évanouissent ou se détendent, le génie lui-même paraît s’affaisser. Il n’est plus soutenu par ce qui l’élevait au-dessus de l’homme ; et c’est alors qu’on dit des héros, des inspirés ou des prophètes : Dieu a cessé de parler en eux.

Telle était l’âme de Jeanne d’Arc après le sacre de Charles VII à Reims. Aussi un grand abattement et une fatale hésitation paraissent l’avoir saisie dès ce moment. Le roi, le peuple et l’armée, qu’elle avait fait vaincre, voulaient qu’elle restât toujours leur prophétesse, leur guide et leur miracle. Mais elle n’était plus qu’une faible femme égarée dans les cours et dans les camps, et sentait sa fai-