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JEANNE D’ARC.

Cependant sa bannière était restée dans le fossé, au pied de l’échelle d’où Jeanne venait d’être renversée. Daulon, son chevalier, s’en étant aperçu, courut avec quelques hommes d’armes pour reprendre cette dépouille, qui aurait trop affligé Jeanne et trop enorgueilli les Anglais. Jeanne y courut à cheval après eux. Au moment où Daulon remettait dans la main de sa maîtresse l’étendard, ses plis, agités par le mouvement du chevalet par le vent, se déroulèrent au soleil, et parurent aux Français un signal que Jeanne leur faisait pour les rappeler à son secours. Les Français, déjà en retraite, accoururent de nouveau pour sauver leur héroïne. Les Anglais, qui la croyaient morte, la revoyant a cheval à la tête des assaillants, la crurent ressuscitée ou invulnérable : la panique s’empara d’eux. Les illusions du feu des canons au milieu des fumées colorées de la poudre leur firent voir des esprits célestes, divinités tutélaires d’Orléans, a cheval dans les nuées, et combattant de l’épée de Dieu pour Jeanne et sa cause. Une poutre, jetée sur le fossé, servit de pont-levis à un intrépide chevalier qui fraya le chemin des remparts à nos bataillons. Le commandant anglais, Gladesdale, se repliant devant cette irruption, cherchait à traverser un second fossé pour s’enfermer dans le réduit. « Rends-toi, Gladesdale ! lui cria Jeanne. Tu m’as vilainement injuriée, mais j’ai pitié de ton âme et de celle des tiens. »

À ces mots, le pont-levis sur lequel combattait vaillamment la dernière poignée d’Anglais, brisé par les coups d’une poutre, s’abîme sous les combattants : la Loire recouvre leurs cadavres.

Jeanne, l’armure teinte de sang, entra au bruit des cloches dans Orléans, fière, mais humble, d’une victoire que l’armée devait toute à elle, mais qu’elle reconnaissait devoir toute à Dieu. L’ivresse du peuple la divinisait. Elle était son salut, sa gloire et sa religion à la fois. Jamais