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HÉLOISE. — ABÉLARD.

fut féminin. Son amour cependant se nourrissait de ces angoisses.

Fulbert, justement irrité d’un silence qui pouvait ressembler à du mépris, et qui rendait son hospitalité suspecte, ferma sa maison à Abélard. Cette séparation déchira le cœur d’Héloïse, humilia celui d’Abélard. Le maître et l’écolière ne purent se déshabituer de cette vie où les regards, les entretiens, les études, les chants, les contemplations à deux, leur avaient fait une seule âme. Ils se revirent en secret. Fulbert s’offensa de ce mystère. Abélard enleva Héloïse, et la conduisit respectueusement à Nantes, dans sa maison paternelle, où il la confia, comme son épouse, à la tendresse de sa propre sœur. Revenu immédiatement après à Paris, il alla se jeter aux pieds de Fulbert, implora son pardon et obtint par son repentir la main de sa nièce. Héloïse, pardonnée et rendue à la fois à son oncle et à son amant, devint secrètement l’épouse d’Abélard. « Après une nuit passée en prières dans une église de Paris, dit-il, nous reçûmes le matin la bénédiction nuptiale, en présence de l’oncle d’Héloïse, de quelques-uns de ses amis et de quelques-uns des miens. Ensuite nous nous retirâmes sans bruit, chacun de notre côté, pour que cette union, connue seulement de Dieu et de quelques familiers, ne portât point honte ou préjudice à ma renommée. »

Les deux époux, heureux à l’insu du monde, affectèrent dès lors de se montrer rarement ensemble, et d’éteindre toutes les rumeurs qui avaient couru sur leur amour. Le monde y fut un moment trompé, et Abélard jouit de nouveau à la fois des délices de son amour et du retour de sa gloire.

Mais les domestiques de Fulbert, confidents nécessaires de ces fréquentations secrètes, ébruitèrent le mariage. Les envieux d’Abélard triomphèrent de sa faiblesse, et l’accusèrent d’avoir sacrifié la philosophie, l’éloquence, la gloire,