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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

où il vivrait en fils dans la demeure d’un père. Fulbert, pénétré de joie et de vanité à ces ouvertures, fit offrir son foyer à Abélard. Il y trouvait, dit-il, le double avantage d’illustrer son nom par la cohabitation avec le premier homme du siècle, et d’achever sans frais l’éducation littéraire de sa nièce, qui, rapprochée ainsi d’Abélard, l’oracle du temps, puiserait toute vertu et toute science à sa source. On peut croire aussi, et tout l’atteste dans les complaisances et dans les fureurs futures de Fulbert, que l’oncle, enthousiaste d’Abélard, et rêvant pour sa nièce un époux : le seul, selon lui, digne d’elle, se prêtait, dans un intérêt tout paternel, à un rapprochement dont pouvait naître l’inclination et l’union de ces jeunes cœurs.

Quoi qu’il en soit, Abélard habita dans la maison de Fulbert. Cette familiarité domestique, favorisée par l’oncle de cette belle disciple, leur offrit, à l’un et à l’autre, les occasions, et on pourrait dire la nécessité de s’aimer. Bien loin de s’opposer à la douce intimité du maître et de l’écolière, Fulbert conjura Abélard de donner à sa nièce tous les secrets et toutes les perfections de sa science poétique, oratoire, théologique, afin d’achever en elle ce prodige d’intelligence que la nature avait commencé et que la France s’étonnait d’admirer dans une femme. Il lui remit toute son autorité paternelle sur sa nièce, et, selon la rude discipline du temps, il l’autorisa même à la frapper, si elle manquait d’obéissance ou d’aptitude à retenir ses leçons ; en un mot, il fit d’Héloïse une sorte d’esclave intellectuelle, et d’Abélard un maître absolu.

Héloïse n’était que trop disposée à voir, non-seulement un maître, mais un dieu, dans le plus beau et dans le plus renommé des hommes de son siècle. Ses progrès dans tous les arts répondirent aux désirs de son oncle. Elle ne travaillait plus pour le monde, mais pour Abélard : toute sa gloire était de lui plaire. La nature, l’amour et le génie