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GUTENBERG.

moment même où il touchait ai la fortune et déjà à la gloire. Ils ne consenti renta lui fournir de nouveaux subsides qu’à la condition d’entrer en participation complète de tous ses mystères, de tous ses bénéfices, de toute sa propriété et de toute sa gloire.

Pour le succès de l’œuvre, il leur vendit sa renommée. Le nom de Gutenberg disparut : l’association absorba l’inventeur ; il ne fut bientôt plus qu’un des artisans de son propre atelier. C’est ainsi que Christophe Colomb revint enchaîné sur son propre vaisseau par ses équipages à qui il avait livré un nouveau monde.

C’était peu : les héritiers de l’un des associés lui intentèrent un procès pour lui disputer l’invention, la propriété, l’exploitation de l’œuvre ; ils le traînèrent devant les juges de Strasbourg pour le faire condamner à on ne sait quelle spoliation plus authentique et plus juridique que la spoliation volontaire à laquelle il s’était condamné lui-même. Sa perplexité devant le tribunal fut extrême. Pour se justifier, il fallait entrer dans des détails techniques de son art, qu’il ne voulait pas encore complètement divulguer, se réservant au moins à lui-même le mystère de ses espérances. Les juges, curieux, le pressaient de questions insidieuses, qui, par les réponses, auraient fait éclater le secret de tous ses procédés. Il les éludait, préférant la condamnation à la vulgarisation de son art. Les juges, pour parvenir à éventer la découverte qui préoccupait l’imagination du peuple, citèrent ses ouvriers les plus affidés et les sommèrent de porter témoignage de ce qu’ils savaient. Ces hommes, simples mais fidèles, profondément attachés à Gutenberg, se refusèrent à rien révéler. La propriété de leur maître resta plus en sûreté dans leur cœur que dans ceux de ses avides associés. Rien ne transpira des derniers mystères de l’art. Gutenberg, ruiné, condamné, peut-être expulsé, se retira seul et indigent à Mayence, sa patrie, pour y re-