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GUTENBERG.

consommé, pour une ébauche, lui dit d’un air un peu railleur :

« Mais c’est tout simplement un pressoir que vous me demandez là, messire Jean ?

» — Oui, répondit d’un ton grave et exalté Gutenberg : ’c’est un pressoir, en effet ; mais c’est un pressoir d’où jaillira bientôt à flots intarissables la plus abondante et la plus merveilleuse liqueur qui ait jamais coulé pour désaltérer les hommes ! Par lui, Dieu répandra son Verbe ; il en découlera une source de pure vérité : comme un nouvel astre, il dissipera. les ténèbres de l’ignorance, et fera luire sur les hommes une lumière inconnue jusqu’à présent. »

Et il se retira. Le tourneur, qui ne comprit rien à ces paroles, exécuta la machine et la rapporta au monastère d’Arbogaste.

Ce fut la première presse.

En la remettant aux mains de Gutenberg, le tourneur commença à se douter de quelque mystère :

« Je vois bien, messire Jean, dit-il à Gutenberg, que vous êtes réellement en commerce avec les esprits célestes ; aussi désormais je vous obéirai comme à un esprit. »

Aussitôt qu’il fut en possession de sa presse, Gutenberg commença à imprimer. On a peu de notions sur les premiers livres qui sortirent de sa presse ; mais le caractère profondément religieux de l’inventeur ne laisse pas de doute sur la nature des ouvrages auxquels il dut consacrer les prémices de l’art. Ce furent, selon toute certitude, des livres sacrés. L’art inventé pour Dieu et par l’inspiration de Dieu commença par Dieu. Les impressions postérieures de Mayence l’attestent : les chants divins des Psaumes et la célèbre Bible latine furent, à Mayence, les premières pages qui tombèrent de la machine inventée par Gutenberg, et appliquée à l’usage des plus pieuses facultés hu-