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GUTENBERG.

donné, qu’on appelait le couvent de Saint-Arbogaste. La solitude du lieu, qui n’ôtait habité que par des indigents des faubourgs, couvrit ses premiers essais.

Au fond des vastes cloîtres du monastère livré à ses associés pour leurs travaux moins cachés, Gutenberg s’était réservé à lui seul une cellule, toujours fermée de serrures et de verrous, où nul ne pénétrait jamais ; il était censé y dessiner les plans, les arabesques, les figurines de sa bijouterie et de ses cadres de glace ; mais il y passait ses jours et ses nuits à se consumer d’insomnie et d’ardeur pour l’application de sa découverte. Il y taillait en bois ses lettres mobiles ; il méditait de les fondre en métal ; il y cherchait laborieusement le moyen de les enchâsser dans des formes, tantôt de bois, tantôt de fer, pour en faire des mots, des phrases, des lignes, des pages espacées sur le papier. Il y inventait des enduits colorés, à la fois huileux et secs, pour reproduire ces caractères ; des brosses ou des tampons pour répandre cette encre sur les lettres, des planches pour les contenir, des vis et des poids pour les comprimer. Les mois et les années se consumaient avec sa fortune et avec les fonds des associés dans ces patiences, dans ces épreuves, dans ces succès et dans ces revers.

Enfin, ayant exécuté en miniature une presse qui lui parut réunir toutes les conditions de l’imprimerie, telle qu’il la concevait alors, il cacha ce modèle sous son manteau, et, entrant dans la ville, il alla chez un habile tourneur en bois et en métal, nommé Conrad Saspach, qui demeurait au carrefour Mercier, pour le prier de l’exécuter en grand. Il recommanda le secret à l’ouvrier, lui disant seulement que c’était une machine à l’aide de laquelle il se proposait d’accomplir des chefs-d’œuvre d’art et de mécanique dont on connaîtrait plus tard les prodiges.

Le tourneur, prenant, tournant et retournant le modèle dans ses mains, avec ce sourire de dédain d’un artisan