Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
GUTENBERG.

venir artisan sans déroger, il fut obligé de déroger hardiment lui-même, de se faire artisan, de s’associer aux artisans, de se confondre avec le peuple pour élever ce peuple à tous les niveaux de la moralité et de l’intelligence.

Sous prétexte de travailler en commun à des ouvrages de merveilleuse et neuve industrie, comme la bijouterie, l’horlogerie, la taille et l’enchâssement des pierres précieuses, il conclut un traité d’association avec deux habitants aisés de Strasbourg, André Dritzehen et Jean Riffe, bailli de Lichtenau, et plus tard avec Faust, orfévre et banquier à Mayence, dont le nom, confondu avec celui de Faust, sorcier populaire et merveilleux de l’Allemagne, familier des mystères et confident des esprits, fit attribuer l’invention de l’imprimerie à la magie ; enfin, avec Heïlman, dont le frère venait de fonder la première fabrique de papier, à Strasbourg.

Afin de tromper plus longtemps ses associés sur l’objet réel de l’entreprise, Gutenberg se livra en effet, avec eux, à plusieurs industries artistiques et secondaires. Continuant en secret ses recherches mécaniques pour l’imprimerie, il travaillait en même temps en public à ces autres métiers. Il enseignait à Dritzehen l’art de tailler les pierres précieuses ; il polissait lui-même le verre de Venise pour en faire des glaces ; il les taillait en facettes ; il les enchâssait dans des cadres de cuivre, qu’il enrichissait de figurines de bois représentant des personnages de la Fable, de la Bible ou de l’Évangile. Ces miroirs, qui se vendaient à la foire d’Aix-la-Chapelle, alimentaient les fonds de l’association et aidaient Gutenberg aux dépenses secrètes destinées à accomplir et à perfectionner son invention.

Pour mieux la dérober encore à l’inquiète curiosité du public, qui commençait à murmurer des soupçons de sorcellerie contre lui, Gutenberg sortit de la ville ; il établit ses ateliers dans les ruines d’un vieux monastère aban-