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GUTENBERG.

répandues et multipliées comme la réverbération du feu par toi, par ton œuvre !

» Réjouis-toi, Jean, tu es immortel : car tu es l’interprète qu’attendaient les nations pour converser entre elles ! Tu es immortel, car ta découverte va donner la vie perpétuelle aux génies qui seraient morts-nés sans toi, et qui tous par reconnaissance proclameront Et leur tour l’immortalité de celui qui les immortalise ! »

» La voix se fut et me laissa dans le délire de la gloire.

» J’entendis l’autre voix. Elle me dit :

» — Oui, Jean, tu es immortel ! mais à quel prix ? La pensée de tes semblables est-elle donc toujours assez pure et assez sainte pour mériter d’être livrée aux oreilles et aux yeux du genre humain ? N’y en a-t-il pas beaucoup, et le plus grand nombre peut-être, qui mériteraient mille fois plus d’être anéanties et étouffées que répétées et multipliées dans le monde ?

» L’homme est plus souvent pervers que sage et bon ; il profanera le don que tu lui fais, il abusera du sens nouveau que tu lui crées ! Plus d’un siècle, au lieu de te bénir, te maudira !

» Des hommes naîtront dont l’esprit sera puissant et séducteur, mais dont le cœur sera superbe et corrompu ; sans toi, il seraient restés dans l’ombre : enfermés dans un cercle étroit, ils n’auraient porté malheur qu’à leurs proches et à leurs jours ; par toi, ils porteront vertige, malheur et crime à tous les hommes et à tous les âges !

» Vois ces milliers d’âmes corrompues de la corruption d’une seule ! Vois ces jeunes hommes pervertis par des livres dont les pages distillent les poisons de l’esprit !

» Vois ces jeunes filles devenues immodestes, infidèles et dures aux pauvres par ces livres où on leur versera les poisons du cœur !

» Vois ces mères pleurant leurs fils !