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TOUSSAINT LOUVERTURE.

Où les peuples liés par leurs nécessités
Sont des troupeaux humains parqués dans les cités.
On possède un pays du haut des places fortes :
Le peuple est à celui qui tient la clef des portes,
Mais chez un peuple neuf la guerre a d’autres lois,
Ses citadelles sont ses rochers et ses bois ;
Si l’on avance, il fuit ; si l’on attaque, il cède.
Ce qu’on foule du pied est tout ce qu’on possède…
Un seul moyen ici : ravagez ses sillons ;
Fermez, murez ses champs avec nos bataillons !
La disette et le temps, mieux que vos projectiles,
L’amèneront dompté sous le canon des villes ;
Il vous demandera des chaînes et du pain !

rochambeau.

Oh ! des Français combattre un peuple par la faim !
De ces atrocités déshonorer l’histoire !…
La retraite vaut mieux qu’une telle victoire ;
Mais la France interdit la retraite à nos pas :
Quand on porte ses droits on ne recule pas.
Écoutez : j’ai connu ce peuple encore esclave,
J’ai vu l’île crouler sous sa première lave ;
Nos revers, nos succès, m’ont appris à savoir
Où les noirs ont leur force et les blancs leur espoir.
Du nom de nation c’est en vain qu’il se nomme,
Ce peuple est un enfant : sa force est dans un homme !
Ne combattez qu’en lui toute sa nation !
Mettez un prix sublime à sa défection !
D’un pouvoir souverain présentez-lui l’amorce ;
L’ambition fera ce que n’a pu la force :
Tout cœur d’homme a sa clef par où l’on peut l’ouvrir,
Il ne s’agit pour vous que de la découvrir.
Vous la découvrirez : dans ces races sauvages,
Le cœur en éclatant fait d’étranges ravages,
S’il se gonfle d’orgueil ou se brise attendri ;