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Dans un voyage que je fis à cette époque aux Pyrénées, je perdis une partie de mes papiers. Toussaint Louverture était du nombre de ces manuscrits égarés ; j’en eus peu de regret, et je n’y pensai plus. Quelques années après, mon caviste le retrouva dans ma cave servant de bourre a un panier de vin de Jurançon (le lait d’Henri IV), dont on m’avait fait présent à Pau. Je ne le relus pas et je le jetai dans l’immense rebut de mes vers : il aurait dû y rester toujours.

Mais après la république, un libraire intelligent et inventif (M. Michel Lévy) voulut bien m’offrir d’acquérir un volume de drame enfoui dans mes portefeuilles : j’acceptai avec reconnaissance ses conditions. Cette profession d’éditeur, qui met le commerce de moitié avec les idées, élargit le cœur et élève l’âme des libraires de Paris. J’ai trouvé toute ma vie en eux des hommes d’élite très-supérieurs à ce métier de vendre et d’acheter, qui rétrécit et qui endurcit quelquefois les trafics d’argent. Les éditeurs et les libraires sont la noblesse élégante, libérale et prodigue du commerce. Ils ont été la providence de mes mauvais jours. Les noms de Gosselin, de Ladvocat, de Didot, d’Urbain Canel, de Furne, de Michel Lévy, de Coquebert, véritable artiste qui mettait son âme dans ses affaires, resteront toujours dans ma mémoire comme des noms qui me rappellent plus de procédés que de contrats, plus d’amitié que de commerce. Les professions deviennent des dignités quand elles sont exercées avec tant de probité et tant de cordialité.

M. Michel Lévy avait le droit de faire représenter mon drame ; je regrettai qu’il en fît usage, mais je devais subir cet inconvénient de la publicité, et il