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ou par une révolution irréfléchie en France, l’émancipation pouvait couvrir de ruines, de sang et de deuil nos malheureuses colonies.

Il s’en fallut peu que ces déplorables prévisions ne fussent réalisées par l’imprévoyance obstinée du gouvernement de Juillet et par la temporisation égoïste des assemblées.

La révolution de Février éclata ; j’eus alors le bonheur, bien rare pour un homme d’État improvisé par un peuple, d’avoir été à la fois l’orateur philosophe et l’exécuteur politique d’un des actes les plus saints et les plus mémorables d’une nation et d’une époque, d’un de ces actes qui font date dans l’histoire d’une race humaine.

Trois jours après la révolution de Février, je signai la liberté des noirs, l’abolition de l’esclavage et la promesse d’indemnité aux colons.

Ma vie n’eût-elle eu que cette heure, je ne regretterais pas d’avoir vécu.

Depuis, l’Assemblée constituante ratifia cette mesure ; on nous présageait des crimes et des ruines ; Dieu trompa ces présages, tout s’est accompli sans catastrophe… Le noir est libre, le colon est indemnisé, le concours s’établit, le travail reprend. La sueur volontaire des travailleurs libres est plus féconde que le sang de l’insurrection.

Mais remontons à 1840. À cette époque, toujours fidèle à la cause de l’émancipation, toujours à la tribune, toujours applaudi, mais toujours vaincu dans la Chambre des députés, je résolus de m’adresser à un autre auditoire, et de populariser cette cause de l’abolition de l’esclavage dans le cœur des peuples, plus impressionnable et plus sensible que le cœur des hommes d’État. J’écrivis, en