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DE SAINT-POINT.

quelques coups de trop. La preuve, c’est que moi, qui ne faisais que siffler en travaillant dans mon chantier, je remontai aux Huttes qu’il était déjà quasi nuit, et en chantant si haut que ma voix faisait sauver les oiseaux déjà couchés dans les buissons et sur les arbres.

» Je ne pensais qu’à mon bonheur d’être le lendemain le compère de Denise, et de redescendre là avec elle, qui aurait un gros bouquet à sa gorgère, et un autre d’œillets rouges sur sa coiffe. Je la voyais d’avance à mon bras, avec ses beaux souliers aux pieds ou à la main, de peur de les déchirer sur les cailloux. J’avais tout à fait oublié que c’était aussi la veille de la Saint-Jean, le soir où l’on promène des torches de paille enflammée et des mâts de sapin allumés sur les montagnes.

» En approchant de mon chantier dans l’ombre, j’entendis quelques bruits dans les feuilles, et comme un chuchotement de voix de femmes et d’enfants de l’autre côté de la carrière, tout en haut, sous le grand sapin. Je m’arrêtai et je me dis : « Ce sera Denise, les tailleuses et les enfants qui seront venus et ma rencontre, par surprise et par badinage, ne me voyant pas remonter si tard. » Et ce n’était que trop vrai ; car, au moment où je pensais cela, j’entendis la voix claire et tremblante de Denise qui me huchait de toute sa force, tout en riant, d’un bord de la clairière à l’autre. Les enfants huchèrent de leur jolie petite voix comme elle, en criant gaiement : « Claude ! Claude ! » à travers les bois.

» Je répondis en huchant aussi pour que ma voix montât bien fort vers eux, qui étaient en haut et moi en bas : « Denise ! Denise ! c’est toi ! c’est moi ! » Et je fis quelques pas en courant pour aller les embrasser en contournant les bords escarpés de ma carrière.

» Mais à ce moment, monsieur, une grande lueur m’entra tout à coup dans les yeux, et une douzaine de voix de garçons, de jeunes filles et d’enfants se mirent à hucher