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DE SAINT-POINT.

CHAPITRE XIII


» Ça fut dit, et je partis pour aller acheter à Mâcon une veste et du linge de ma condition, à la place des haillons de l’idiot.

» À mon retour, le lendemain, ma mère avait tout dit à Denise. Elle me fit bonne grâce en rentrant et me trempa la soupe au bout de la table, a l’endroit où elle me la trempait quand elle était fille et que j’étais son fiancé. Je prenais le petit et la petite sur mes genoux, et je les embrassais bien fort, afin qu’elle comprît que c’était pour elle que je les aimais tant. C’est qu’en effet la petite lui ressemblait, monsieur, et qui en l’embrassant, il me semblait en embrasser deux.

» Mais nous ne nous parlions pas, parce que ma mère disait qu’il fallait avant une permission du maire et une dispense du curé pour se marier entre beau-frère et belle-sœur.

» C’est alors que je descendis au château, monsieur, et que votre mère, qui était si serviable et si aimée dans toute la montagne, me reçut gracieusement et me fit avoir les papiers. Je vous vis bien alors tout jeune dans le jardin avec vos sœurs. Je ne savais pas que vous viendriez un jour si souvent sur ces roches, vous entretenir avec un pauvre homme comme moi.

» Quand j’eus les papiers, monsieur, alors nous nous parlâmes comme nous nous étions parlé autrefois sous les noisetiers et le long des buissons. Seulement les enfants cueillaient des coquelicots ou dénichaient des nids de rossignols autour de nous, en revenant à chaque instant les montrer à moi et à leur mère. Denise souriait en pleurant et pleurait en souriant, comme une nuée d’avril. Elle était