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DE SAINT-POINT.

pensais que Denise était là-haut, toujours si charmante et si tendre, veillant auprès de ma mère ou dormant à côté des berceaux de ses deux petits, et qu’elle m’aimait encore d’assez d’amitié pour avoir appris mon nom de Claude à ses enfants et pour leur faire prier le bon Dieu pour moi sur son crucifix et sur quelque chose qui venait de moi, je me trouvais néanmoins le plus heureux des hommes qui étaient sur la terre. Dans ce combat si long et si indécis de la peine et du contentement, mes idées se brouillèrent, mes yeux se fermèrent ; je rabattis le manteau de mendiant de l’idiot sur ma tête, comme nous faisons de nos vestes, nous autres, quand nous voulons dormir : je me tournai le visage du côté du mur, et je m’endormis en me disant en moi-même : « Tu te réveilleras avant le jour, et tu t’en iras là-haut te cacher sous les châtaigniers, pour n’entrer à la maison qu’après que le soleil sera bien haut et que ta mère sera bien réveillée, la pauvre femme ! »

» Je croyais me reposer seulement quelques heures, et ne pas m’endormir assez pour ne pas entendre le coq chanter.

» Mais, monsieur, la lassitude du corps, et encore plus la lassitude de l’esprit et du cœur par toutes les idées qui m’avaient battu le front depuis deux longues journées, trompèrent mon espérance, et je m’endormis si fort et si bien que ni le chant de l’alouette, ni le quiqui-riqui du coq, ni le mugissement de cent bœufs appelant le bouvier dans l’étable, ne m’auraient pas tant seulement réveillé. Le bon Dieu le voulait, quoi ! J’étais aussi mort et aussi sourd que les pierres de l’escalier que j’avais taillées.

» Hélas ! ce fut peut-être un grand malheur. Il aurait mieux valu pour tous que j’eusse été sous les châtaigniers et que j’eusse reculé dans mon envie de rentrer à la hutte, même pour recevoir la dernière bénédiction de ma mère.

» Je ne sais combien de temps je dormis, monsieur ; mais voilà que tout à coup j’entends de légers sabots descendre les marches de l’escalier de la maison, droit au-