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LE TAILLEUR DE PIERRE

vous lisait sur ses perfections et sur votre destinée après cette existence ?

» — Oh ! monsieur, me répondit-il, je pensais bien aussi trop souvent à autre chose, au pays, à la montagne, à ma mère, à mon frère, à ma petite sœur et à Denise. Plus j’essayais de chasser ces idées, qui me rendaient le marteau si lourd dans la main et le goût du pain si amer, plus elles me revenaient toujours malgré moi. Mes camarades se moquaient de moi en badinant et m’appelaient le songeur. « Dis donc, Claude ! me disaient-ils, est-ce que tu as oublié quelqu’un dans les étoiles, ou est-ce que tu as perdu quelque chose dans les montagnes, que tu regardes ainsi, en soupirant, toujours en haut ? » Je devenais tout rouge, monsieur, et je ne savais quoi répondre. Hélas ! ce n’était que trop vrai que j’avais tout laissé et tout perdu sur les hauteurs ; et toutes les fois qu’en sortant des villes pour me promener les dimanches, ou en traversant les plaines d’un pays, je voyais des cimes de montagnes comme celle-ci et une fumée de hutte ou de bûcheron montant de derrière des sapins, je ne pouvais en détacher mes yeux. Quand je portais la main pour mieux voir, je ramenais mes doigts tout mouillés. Je me disais : « C’est comme chez nous ! Il y a peut-être des ravins, des roches, des chevreaux qui broutent, des eaux qui coulent en chantant par les rigoles, un foyer où l’on jette les fagots fleuris pour faire la soupe de la famille ; une vieille mère, une belle fiancée, une Denise !… » Et puis, je me sentais les jambes si lasses que je ne pouvais plus marcher, et que j’étais forcé de m’asseoir sur le revers du fossé, en face de ces chaînes hautes d’où me descendaient ces pensées au cœur. En un mot, monsieur, j’avais ce que nous appelons, nous autres, le mal du pays, la maladie, presque la seule que nous ayons, la maladie du pauvre monde qui, n’ayant pas grand-chose à aimer autour d’eux, se mettent à aimer le coin de terre qui les a portés. Je pense que c’est