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LE TAILLEUR DE PIERRE

per de route, monsieur. Comment l’auraient-ils fait si on ne le leur avait pas appris en sortant des œufs ? »

Nous causâmes longtemps ainsi de ces phénomènes de l’intelligence des animaux, puis je donnai un tour insensiblement plus sérieux à la conversation. Il s’y prêtait, car il sentait bien que ce n’était pas tant la curiosité humaine qui m’amenait près de lui que la curiosité divine, c’est-à-dire le bonheur de parler de Dieu.

Tel était l’aimant entre cet homme et moi. Je n’en détachais pas aisément ma pensée. Quand, du fond de mon jardin ou des hauteurs de mes bois situés sur l’autre revers de la vallée, j’entendais dans le silence du milieu du jour retentir le coup de marteau régulier du tailleur de pierre, mon oreille écoutait ce bruit comme un bourdonnement de plus d’un pauvre insecte appelé homme qui creuse le rocher, qui sonde la terre, qui perce le ciel pour y chercher ce qui l’appelle sans cesse et ce qui lui échappe éternellement ici-bas, son Dieu ! Je me disais : « Chaque coup de ciseau de cet homme est aussi un coup de sa pensée dans ses tempes pour les élargir à la proportion de la grande idée dont il est malade. » Je me demandais à moi-même consciencieusement, à moi qui ai usé ma langue sous mon palais et mes yeux sous mes paupières à lire, à écrire et à parler de ce Dieu dans toutes les fois et dans toutes les langues, quelles pouvaient être les notions que cette âme inculte avait pu concevoir à elle seule du souverain Être.

J’étais donc naturellement porté, quand je me retrouvais avec lui, à faire revenir l’entretien sur ce sujet. D’ailleurs, je voyais que c’était la pente aussi de son âme débordante de piété instinctive, et que, pour peu qu’on l’y inclinât, elle y versait. Je m’assis donc à la même place où j’avais parlé avec lui de Denise, et, quand il eut fini de mettre sa ruche d’aplomb sur ses cales, il revint s’y asseoir lui-même à une certaine distance en face de moi ; car, bien que