Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
498
LE TAILLEUR DE PIERRE

qui me soutenait contre tout ! dit-il en levant imperceptiblement pour tout autre que pour moi ses yeux vers le soleil qui baissait.

» — Vous me raconterez cela dimanche, lui dis-je en me levant pour redescendre, n’est-ce pas, Claude ? Vous m’en avez déjà assez dit pour m’attrister toute la semaine.

» — Oh ! monsieur, il ne faut jamais être triste, reprit-il avec un sourire de contentement qui contrastait avec son récit, avec sa solitude et avec les tombes vertes éparses sous nos pas autour de lui. Il ne faut jamais être triste, car la tristesse enlève la force des bras ; et puis la vie est si peu de chose, que ça ne mérite pas seulement qu’on s’arrête pour pleurer dessus. Tout finit bien, allez, monsieur, soyez-en sûr. Il ne s’agit que d’attendre son heure, ici-bas ou dans l’autre temps.

» — Qu’appelez-vous l’autre temps ? lui dis-je.

» — Celui qui ne finit pas, » répondit-il.

Nous nous séparâmes comme deux amis qui se sont donné rendez-vous de l’œil en se disant adieu.


CHAPITRE X


J’aimais ce pauvre homme, et ce pauvre homme m’aimait, bien que si inférieur à lui en philosophie, en sentiment des choses surnaturelles, en détachement, en résignation, et bien que plongé dans ce courant des pensées humaines au-dessus desquelles il rayonnait, sans s’en douter, comme une âme au-dessus du brouillard. Il y avait cependant quelque chose de commun entre nous deux : le sentiment de Dieu à travers la nature. C’était là l’aimant qui m’attirait vers les Huttes et qui faisait supporter mes longues visites à Claude. Je remontai vers sa retraite huit jours après.

Je le trouvai occupé à rappeler un essaim de ses ruches.