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DE SAINT-POINT.

n’était toujours pas elle. Nous étions deux grains de la même paille. Tous les autres grains de la gerbe peuvent bien être aussi bons ; mais il n’y a que ceux-là pourtant qui se rencontrent, qui s’ajustent et qui se connaissent sur l’épi. Denise de moins pour moi dans le monde, il n’y avait plus de femme. Toutes celles que je voyais passer les dimanches, allant aux danses ou aux églises, je disais : « Ce n’est pas là Denise. » Elle m’était restée dans les yeux comme un grain qui vous fait voir mille étoiles, mais qui aussi vous fait pleurer. « Puisque tu as fait ce sacrifice au pauvre aveugle et à la paix de la maison, que je me disais, tu peux bien en faire d’autres toute ta vie ! » Et en vérité, ce peu que je faisais maintenant pour le pauvre monde ne me coûtait rien. Quand on a donné le cœur qu’on a sous les côtes, qu’est-ce que c’est donc que de donner son bras ou sa main ? Et encore que j’avais l’amitié de tout le monde, dans les chantiers, pour ma récompense. C’est comme cela que j’ai mis sept ans à faire mon tour de France, prenant toujours un chemin qui me menait plus loin toutes les fois que j’étais tenté, par le mal du pays, de revoir la montagne et la vallée de Saint-Point.

« — Mais qu’est-ce qui vous consolait dans votre éloignement, dans votre isolement et dans vos peines ? dis-je à Claude. Vous aviez donc des nouvelles de votre mère et de Denise ? Vous leur écriviez donc ? Vous aviez donc un ami avec qui vous parliez des Huttes, de votre enfance, de votre amour, de votre malheur ?

» — Non, monsieur ; personne ne m’écrivait et je n’écrivais à personne, parce que nous ne savions ni lire ni écrire dans la famille. Je ne parlais jamais ni d’elle ni de moi ; on ne savait seulement pas de quelle montagne je venais. J’étais de bonne grâce avec tous les camarades, sans avoir d’attachement particulier avec aucun, excepté qu’il ne fût tombé de l’échelle ou qu’il ne se fût cassé un membre dans le chantier. Et pourtant j’avais un ami qui me consolait et