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LE TAILLEUR DE PIERRE

comme lorsque je venais au bord de l’abîme, et que, me penchant pour voir le fond, je reculais effrayé.

» Nous nous regardâmes, Denise et moi, en nous serrant les mains et en pleurant ; puis nous rentrâmes à l’étable.

» Gratien était toujours faible et pris par la fièvre ; mais le jour et le bon air du matin l’avaient un peu soulagé. Il ne criait plus, et il semblait chercher à nous fixer avec ses yeux d’aveugle, si aimants et si pleins de larmes, qu’ils faisaient pitié. Denise s’approcha de lui, lui prit la main, et lui causa avec des paroles si douces que le pauvre Gratien se mit à sourire et sembla se tranquilliser. Et moi alors, un peu apaisé par le mieux qu’il sentait, je le quittai pour aller à mon ouvrage.

» Je descendis à la carrière avec un peu de soulagement, et je me mis à travailler à force pour tromper mon chagrin ; mais je m’arrêtais souvent au milieu de mon travail, agité par les pensées tristes que je roulais en moi. Renoncer à Denise, cela me désespérait. Je me disais : « Ça n’est pas possible ; Gratien ira mieux ; c’est la fièvre qui l’a fait parler ; ça passera avec la maladie ; puis, quand il sera guéri, nous ne l’abandonnerons plus, Denise et moi ; elle sera près de lui quand je serai au travail, et le dimanche nous lui tiendrons bien compagnie. » Enfin, je tâchais, monsieur, de faire entrer un peu de consolation dans mon esprit. Il faisait tour à tour jour et nuit dans mes réflexions ; des fois le découragement était le plus fort, des fois l’espérance l’emportait, et, malgré tout, je remontais le soir aux Huttes un peu réconforté.

» Mais l’état de Gratien chassait mon espoir. Il maigrissait à vue d’œil, et tout son pauvre corps dépérissait ; les soins de Denise n’y pouvaient rien. Je vis bien alors, malgré mon envie, que ce n’était pas le corps seul qui était malade, mais que le mal était surtout au cœur.

» La fièvre empirait toujours ; elle revenait le reprendre toutes les nuits avec plus de force et le rejeter dans le dé-