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DE SAINT-POINT.

qui ne sont qu’à moitié sciées par la scie des Égyptiens ou des géants de ces temps-là, et que même il a vu sur une brique que ces pierres revêtaient l’empreinte du pied et de la main d’un des ouvriers qui bâtissaient et qui façonnaient ces monuments. C’est-il du temps, cela ? et y a-t-il beaucoup de rois ou de reines qui auraient laissé dans le monde une trace d’eux aussi à eux et aussi durable que ce pauvre ouvrier ?

« Eh bien, que je me dis quelquefois, tu en laisses autant sur ta pierre ! » Cela console l’homme de sa fragilité, n’est-ce pas ? Aussi cela lui fait penser combien il est peu de chose à côté de ce grain de pierre qu’il détache sous son marteau et qui durera tant de siècles après notre poussière à nous ; mais cela fait penser aussi que l’esprit de l’homme, qui est plus grand que tout cela, qui embrasse tout cela, qui survit à tout cela, est un bien autre ouvrage du bon Dieu ! Et cela porte à le remercier, à le glorifier et à le bénir dans la brièveté et dans la durée, dans la petitesse et dans la grandeur. Je pensais à toutes ces choses en taillant mes meules. D’ailleurs, la solitude rend curieux. L’homme seul cherche la compagnie de Dieu. Quand j’étais là, enseveli dans le creux de la montagne, après midi, me reposant un moment au soleil, rien qu’avec mon petit chien couché sur ma veste, mon cœur montait en haut, comme s’il avait des ailes ; je regardais le bleu du ciel au-dessus des sapins, où tournoyaient les aigles, et je disais en moi au bon Dieu : « Entendez-vous la prière de l’homme qui monte à vous du creux de la colline, vous, Seigneur, qui entendez le bruit des ailes de la mouche et les battements du cœur de ces moucherons noyés dans un rayon de votre soleil ? »

» Et puis je pensais aux Huttes, à ma mère, à mon frère, à Denise, à tout enfin. J’étais content, et pourtant quelquefois aussi je devenais triste, et ma mère, quand je rentrais, me disait : « Qu’as-tu ? » Je lui répondais : « Je ne sais