Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
445
DE SAINT-POINT.

pas, on les éprouve. Qui ne s’est pas dit, en approchant de certains hommes : « Je me sens meilleur auprès de lui ? »

Je contins toute la semaine mon impatience de revoir Claude et de causer à mon aise avec lui, dans la crainte de le déranger de son ouvrage pendant les jours de travail, et de nuire ainsi aux bonnes œuvres dont il remplissait ses journées pour le prochain. Mais le dimanche venu, je remontai, pour ainsi dire instinctivement, aux Huttes, et je trouvai Claude à la même place où je l’avais laissé dans l’enclos. Seulement, il n’était pas endormi cette fois au soleil, au milieu de son herbe en fleur. Il avait fauché sa maigre pelouse pendant la semaine. Il achevait de relever avec le râteau le foin sec et odorant en petits monceaux qu’il rapporterait, à son heure, à l’abri dans sa cabane, pour nourrir ses bêtes l’hiver. Comme il y avait eu de fortes rosées le matin, il craignait pour la soirée et pour le lendemain quelque pluie d’orage, et il entassait sa fenaison pour qu’elle ne fût pas délavée par l’eau. Il parut me revoir avec plaisir. Je déposai ma veste de chasse sur une pierre, et je l’aidai à achever son ouvrage comme si j’avais été du métier. Il ne fit aucune façon pour m’en empêcher. Avant midi, tout le foin était amoncelé çà et là sur la pente tondue du petit pré. Il m’offrit un morceau de son pain de seigle et un de ses petits fromages de chèvre, assaisonnement du paysan dans toutes nos montagnes. Je rompis avec plaisir ce pain de mon enfance avec lui. Le repas, arrosé de l’eau glacée de la source, puisée dans une gourde, et du jus de quelques cerises précoces, piquées du ver et tombées de l’arbre avant l’heure, accrut entre nous la familiarité. Quand on a bu et mangé ensemble, on est compère dans la langue et dans les mœurs du pays. Nous nous assîmes sous un des monceaux de foin, dont le sommet donnait un peu d’ombre à nos têtes, et nous reprîmes la conversation du dimanche précédent.

Moi. — Vous ne m’avez pas dit, Claude, comment ce