Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.
436
LE TAILLEUR DE PIERRE

orphelins qui n’ont ni père ni mère pour leur moissonner leur seigle ou pour leur battre leur châtaignier ; voilà la cheminée d’un tel qui est tombée ; voilà la porte, voilà l’escalier, voilà la fenêtre de celui-là ou de celle-là qui se sont éboulés, et qui les font courir vainement après le tailleur de pierre, sans argent d’ici à l’année prochaine pour lui payer ses journées. Que vont-ils faire dans la mauvaise saison qui s’avance ? Qui est-ce qui ira à leur secours pour l’amour de Dieu ? Allons, c’est moi ! Donnons-nous de la peine pour leur en enlever un peu ! Tirons de la pierre pour celle-ci, taillons un jambage pour celui-là, rajustons les marches de l’escalier pour l’un, replaçons les solives et les tuiles pour l’autre, piochons la vigne de ce voisin malade, coupons l’orge de cette vieille femme aveugle, prêtons la chèvre à cette pauvre nourrice dont la vache est tombée dans le ravin et qui n’a plus de lait pour ses petits ! Le peu que je puis pour eux leur soulagera le cœur ; ils auront moins de chagrin dans la maison, ils dormiront cette nuit, ils mangeront ce soir, ils coucheront à l’abri avant l’hiver ! » Et j’y vais, monsieur, et rien que de me voir me mettre à l’ouvrage sans leur rien dire souvent, ça les reconsole, ça les réjouit, ils viennent me voir travailler, ils s’assoient au bord de la carrière ou du chantier. Les enfants jouent avec mes outils ou avec mon chien quand il m’a suivi. Ils pensent : « La Providence ne nous a pas abandonnés : Claude a su notre malheur ; le pauvre garçon, il ne peut pas grand-chose ; mais il fait le peu dont il est capable. » Ça leur rend le cœur plus léger, de ce qu’un voisin porte une part de leur mal. Et moi, monsieur, l’idée que ça les soulage me rend le marteau plus léger dans la main ; et le soir, quand je remonte ici à la nuit close et que je me dis : « Claude, qu’as-tu gagné aujourd’hui ? » je me réponds : « J’ai gagné une bonne journée, car les pauvres gens me la payent en amitié, mon cœur me la paye en contentement, et le bon Dieu me la payera en miséricorde ! » N’est-il pas