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DE SAINT-POINT.

pas reçu le sens du toucher à l’extérieur, il faut croire qu’il y en a qui n’ont pas reçu le sens du raisonnement et du sentiment à l’intérieur. Ceux qui ne voient pas Dieu, s’ils existent, seraient les ladres de l’esprit.

Lui. — Dieu est trop bon pour les laisser dans cette nuit.

Moi. — Comment savez-vous que Dieu est bon ?

Lui. — Parce que nous aimons ce qui est bon, et que, si Dieu n’était pas bon, nous ne pourrions pas nous empêcher de le haïr. Or, je vous demande un peu à vous, monsieur, qui paraissez bien mieux entendre ça que moi, qu’est-ce que serait une création où la créature ne pourrait pas s’empêcher de haïr son créateur ? Ce serait un contre-sens. La créature aimerait par nature le bon, et le créateur qui l’aurait faite pour remonter à lui et pour l’aimer serait le mal ! Vous voyez bien que c’est le monde renversé et les idées brouillées dans la tête. On ne s’y arrête seulement pas, excepté un moment quand on souffre trop, qu’on perd la justice et l’espérance en lui. Mais c’est un cri qui s’échappe des lèvres, et après lequel l’âme court vite pour le rattraper avant que Dieu ne l’ait entendu.

Et puis, monsieur, Celui qui est immense en tout n’est-il pas la justice et la bonté immenses par nature ? Et puisqu’il a mis en nous, qui sortons de lui et qui ne sommes que ses lointaines et obscures images, la justice et la bonté comme des choses que nous aimons malgré nous, n’est-ce pas la preuve qu’il les possède lui-même sans mesure ? N’est-ce pas une nécessité qu’il soit infiniment bon, puisqu’il veut être infiniment aimé de tout ce qui sort de ses mains ? Voilà du moins comme je me dis quelquefois, quand la vie est dure et que je m’attriste. Mais je n’ai pas souvent besoin de me raisonner ainsi ; je le vois trop bien, je le sens trop bien, je le touche, si j’ose dire, de trop près, cœur à cœur, pour lui faire l’outrage et l’ingratitude de le croire méchant.

Mais pensez donc un peu ce que ce serait, monsieur ;