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LE TAILLEUR DE PIERRE

pour ma peine, monsieur ; car la peine, ce n’est pas l’homme, c’est Dieu qui l’impose et qui la paye. Vous, dans votre chambre, sur votre cheval ou avec vos livres, sous ces arbres à l’ombre, vous en aurez eu peut-être plus que moi. »

Ces paroles, dites sans apprêt et coulant tout naturellement de ses lèvres comme la respiration, avec un accent non de défi, de suprématie et d’insolence, mais avec l’accent de la simplicité et même de la compassion, me frappèrent. Je ne cherchai point à le heurter en résistant, ni à lier prématurément avec lui une conversation dont il aurait pu se défier. Je ne montrai sur mon visage ni étonnement ni peine.

« Eh bien, dis-je au père Litaud, conduisez-le à la carrière, et mettez-le à l’ouvrage. »

Je rentrai. Une demi-heure après, j’entendais de ma fenêtre les coups retentissants du pic, et les chutes sourdes des blocs de pierre qui roulaient du haut de la carrière dans le fond du ravin.

Je repartis le soir de Saint-Point.

Trois semaines après, je revins m’y établir avec la famille pour y passer le reste de l’été. En me réveillant, le lendemain de mon arrivée, je n’entendis aucun coup de pic ou de marteau dans la carrière. J’y allai : elle était vide. Il y avait seulement au fond un petit monceau de pierres grises nouvellement détachées des parois et deux ou trois dalles ébauchées sur le bord. Je courus chez le père Litaud pour lui demander raison de cet ouvrage pressé, convenu et abandonné.

« Je n’en sais rien, me dit-il ; Claude des Huttes a travaillé quelques jours, puis, un matin, je ne l’ai plus vu. L’idée lui aura chanté autrement. Je vous le disais bien, monsieur, il n’y a pas à se fier à ces saints. Ils font des marchés avec Dieu qui priment leurs marchés avec les hommes. Peut-être qu’il se sera dit : « Je suis l’ouvrier du