Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/399

Cette page a été validée par deux contributeurs.
398
LE TAILLEUR DE PIERRE

depuis vingt ans, entre les souvenirs et les consolations du foyer. Hélas ! je n’y viens plus guère, depuis ces dernières années, que pour y promener quelques heures mes pas pressés par les événements, pour y mesurer d’un regard rapide la croissance des arbres que j’avais plantés pour m’ensevelir dans leur ombre, dont les feuilles tombent sous les pas des étrangers, et pour prier un moment sur deux tombeaux.

Une matinée de 1846, au retour d’un long voyage au delà des Alpes, j’y vins seul, au mois de mai, pour voir en passant si le temps n’avait rien dégradé dans ce nid de famille, et pour ordonner quelques réparations. C’est ainsi que le marin oisif pendant quelques semaines dans son port va de temps en temps à bord de son navire échoué, visite sa coque et sa quille, commande une planche ici, une cheville là, une cloison ailleurs, afin de retrouver sa demeure flottante en bon état le jour où l’armateur lui fera signe de reprendre la mer.

En faisant le tour du jardin après déjeuner, avec le vieux fermier qui m’a vu naître, et que je conserve oisif maintenant dans un coin de sa ferme, comme un ancêtre du domaine et de la maison, je vis que les branches des mélèzes et des sapins, en grandissant, s’étaient étendues comme des bras au delà d’un mur de clôture qui me sépare d’un chemin de bergers. Le vent, en les agitant sur la crête du mur, avait fini par écorner les pierres, par disjoindre les ciments et par faire à l’enceinte des brèches par où les petits enfants pouvaient grimper pour voler les nids. J’ai des arbres pour les oiseaux autant que pour moi. Les oiseaux sont la poésie des chants, l’hymne de l’air. Si on les tue, qui donc chantera dans la création ? Je ne connais rien de plus triste que de rencontrer sous la tour de l’église, sous le rebord du toit de la maison, ou sur le sable du jardin, sous l’arbre, le nid ravagé d’une hirondelle, d’un pinson ou d’un rossignol, avec les écailles de ses petits œufs gris