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TOUSSAINT LOUVERTURE.

Dans une heure semblable à mon anxiété,
Il y mourut d’angoisse et de perplexité !
Et Jéhova pourtant visitait son prophète,
Il conduisait son peuple, il marchait à sa tête !
Et moi ?… Non, non, pardonne, ô Dieu, si j’ai douté !
Ne marches-tu donc pas devant la liberté ?
En vain dans tes secrets notre destin repose :
Le plus sûr des drapeaux, c’est une juste cause !
Oui, tu m’as suscité sur cette nation.
Ton oracle ? Ce fut sa profanation ;
Ce fut dans tes enfants ton image offensée :
L’instinct qui venge l’homme est toujours ta pensée !
Prends courage, Toussaint, voilà ton Sinaï !
Dieu se lève vengeur dans ton peuple trahi !

Il fait quelques pas rapides comme soulevé par l’enthousiasme
intérieur et retombe ensuite à genoux.

Dans un pauvre vieux noir, cependant, quelle audace
De prendre seul en main la cause de sa race,
Et de se dire : Un mot qui de ma bouche sort
D’un peuple tout entier fixe à jamais le sort !…
Dans mes réflexions, du mot fatal suivies,
Je pèse avec la mienne un million de vies !…
Si j’ai mal entendu… si j’ai mal répété
L’ordre de Dieu !… malheur à ma postérité 1
Dieu ne donne qu’une heure à notre délivrance ;
Opprobre à qui la perd ! mort à qui la devance !

Il s’agenouille sur le prie-Dieu, devant le crucifix, et pleure.

Ah ! combien j’ai besoin d’intercéder celui
Dont l’inspiration sur tous mes pas a lui.

Il prie.

Crucifié pour tous ! symbole d’agonie
Et de rédemption !…

Il s’interrompt et reprend avec amertume.

Et de rédemption !…Quelle amère ironie !