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RAPHAËL

CXXX

Le lendemain, je roulais anéanti et silencieux, la tête enveloppée dans mon manteau, entre cinq ou six inconnus qui s’entretenaient gaiement de la qualité du vin et du prix du dîner d’auberge, dans une de ces voitures banales où s’entassent les voyageurs. C’était sur les collines nues de la route du Midi. Je n’ouvris pas les lèvres une seule fois, pendant ce long et morne voyage.

Ma mère me reçut avec cette tendresse sereine et résignée qui rendait le malheur même presque heureux près d’elle. Je ne lui rapportais qu’un corps malade, des espérances consumées, une mélancolie qu’elle attribuait à la jeunesse oisive, à l’imagination sans aliment, mais dont je lui cachai soigneusement la véritable cause, de peur d’ajouter à ses peines une peine irrémédiable de plus.

Je passai l’été seul, au fond d’une vallée déserte, dans d’âpres montagnes où mon père avait une petite métairie cultivée par une famille de laboureurs. Ma mère m’y avait envoyé et confié aux soins de ces braves gens, pour y prendre l’air et le lait. Mon unique, occupation fut de compter les jours qui me séparaient du moment ou je devais aller attendre Julie dans notre chère vallée des Alpes.

Ses lettres que je recevais et auxquelles je répondais tous les jours entretenaient ma sécurité. Elles dissipaient, par l’enjouement et par les caresses de mots, le nuage de pressentiments sinistres que nos adieux avaient laissé sur mon âme. De temps en temps, quelque phrase de découragement et de tristesse jetée ou involontairement oubliée parmi ces perspectives de bonheur, comme une feuille morte au milieu des feuilles vertes du printemps, me paraissait bien