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RAPHAËL

cette mousse forme un banc naturel dont le chêne lui-même est le dossier, et dont ses feuilles basses sont le dais.

La matinée était aussi transparente que l’eau de la mer au lever du soleil sous un cap verdoyant des îles de l’Archipel. Les rayons d’un printemps déjà chaud tombaient d’un ciel limpide sur la colline boisée. Ces rayons ressortaient des taillis en haleines tièdes comme les vagues dorées de soleil qui viennent mourir dans l’ombre au pied des baigneuses. On n’entendait d’autre bruit que la chute de quelques feuilles sèches de l’hiver précédent. Elles tombaient, aux pulsations de la séve, au pied de l’arbre, pour faire place aux feuilles nouvelles à peine développées. Des vols d’oiseaux se froissaient les ailes contre les branches, autour des nids ; l’oreille percevait un vague, un universel bourdonnement d’insectes ivres de lumière, sortant et rentrant comme une poussière, à la moindre ondulation des foins en fleur.

CXXVI

Il y avait une telle consonnances entre notre jeunesse et cette jeunesse de l’année et du jour, une si complète harmonie entre cette lumière, cette chaleur, cette splendeur, ces silences, ces légers bruits, cette ivresse pensive de la nature et nos propres impressions ; nous nous sentions si délicieusement confondus dans cet air, dans ce firmament, dans cette vie, dans cette paix de l’œuvre de Dieu autour de nous ; nous nous possédions si parfaitement l’un l’autre dans cette solitude, que nos pensées et nos sensations sur abondantes mais satisfaites se suffisaient. Elles n’avaient pas même la fatigue intérieure de chercher des paroles pour s’exprimer. Nous étions comme le vase plein, où la