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RAPHAËL

nouies, agitaient des branches de lilas, comme pour embaumer la ville. Dans la chambre de Julie, le foyer de la cheminée, transformé en grotte de mousse, les consoles, les tables, portaient toutes des pots de violettes, de mugμets, de roses, de primevères. Pauvres fleurs dépaysées des champs ! semblables aux hirondelles entrées par étourderie dans un appartement, et qui se froissent les ailes contre les murs, en annonçant les beaux jours d’avril aux pauvres habitants des greniers.

Le parfum de ces fleurs nous portait au cœur. Nos pensées nous ramenaient naturellement, par l’impression des odeurs et des images, à cette nature au sein de laquelle nous avions été si seuls et si heureux. Nous l’avions oubliée, cette nature, tant que les jours avaient été sombres, le ciel âpre, l’horizon fermé. Reclus dans l’étroite chambre où nous étions l’un pour l’autre tout notre univers, nous ne pensions plus qu’il existât un autre ciel, un autre soleil, une autre nature en dehors de nous. Ces beaux jours entrevus à travers les toits d’une ville immense vinrent nous le rappeler. Ils nous troublèrent, ils nous attristèrent, ils nous attirèrent par d’invincibles instincts à les contempler, à les savourer de plus près dans les forêts et dans les solitudes des environs de Paris. Il nous semblait, en concevant ces désirs irrésistibles et en faisant ces projets de promenades lointaines ensemble dans les bois de Fontainebleau, de Vincennes, de Saint-Germain, de Versailles, que nous allions retrouver nos bois et nos eaux des vallées des Alpes. Nous y verrions, du moins, les mêmes soleils et les mêmes ombres ; nous y reconnaîtrions dans les branches les gémissements sonores des mêmes vents.