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RAPHAËL

moi-même, du fond de mon alcôve, le bruit de leurs applaudissements. Tantôt je rougissais en moi-même d’avoir livré aux regards d’un inconnu une œuvre si indigne de la lumière, d’avoir dévoilé ma faiblesse et ma nudité pour un vain espoir de succès qui se changerait en humiliation sur mon front, au lieu de se convertir en joie et en or entre mes mains. Cependant l’espérance, aussi obstinée que mon indigence, reprenait le dessus dans mes rêves, et me conduisait d’heure en heure jusqu’à l’heure assignée par M. D***.

CXVIII

Le cœur me manqua en montant, le huitième jour, son escalier. Je restai longtemps debout sur le palier de la porte, sans oser sonner. Quelqu’un sortit. La porte restait ouverte : il fallut bien entrer. Le visage de M. D*** était inexpressif et ambigu comme l’oracle. Il me fit asseoir, et, cherchant mon volume enfoui sous plusieurs piles de papiers : « J’ai lu vos vers, monsieur, me dit-il ; ils ne sont pas sans talent, mais ils sont sans étude. Ils ne ressemblent a rien de ce qui est reçu et recherché dans nos poëtes. On ne sait où vous avez pris la langue, les idées, les images de cette poésie : elle ne se classe dans aucun genre défini ; c’est dommage, il y a de l’harmonie. Renoncez à ces nouveautés qui dépayseraient le génie français ; lisez nos maîtres, Delille, Parny, Michaud, Raynouard, Luce de Lancival, Fontanes : voila des poëtes chéris du public ; ressemblez à quelqu’un, si vous voulez qu’on vous reconnaisse et qu’on vous lise ! Je vous donnerais un mauvais conseil en vous engageant à publier ce volume, et je vous rendrais mauvais service en le publiant à mes frais. » En