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RAPHAËL

CVIII

Mais je continuais à venir, tous les soirs, consumer une partie de mes nuits dans l’entretien de celle qui était, à elle seule, la nuit et le jour, le temps et l’éternité pour moi. Comme je l’ai déjà dit, j’y venais au moment où les importuns quittaient son salon. Quelquefois je restais de longues heures sur le pont ou sur le quai, marchant ou m’arrêtant tour à tour, et attendant vainement que le volet intérieur s’ouvrît en plein ou à moitié pour me faire l’appel muet dont nous étions convenus.

Que de flots paresseux de la Seine, emportant avec eux sous l’arche des ponts les lueurs flottantes de la lune ou les réverbérations des fenêtres de la ville, n’ai-je pas ainsi suivis dans leur fuite ! Que d’heures et de demi-heures, frappées par le marteau des églises voisines ou lointaines, n’ai-je pas ainsi comptées, en les maudissant de leur lenteur ou en les accusant de leur précipitation ! Je connaissais le timbre de ces voix d’airain de toutes les tours de Paris. Il y avait des jours heureux et des jours néfastes. Quelquefois je montais sans avoir attendu un seul instant. Je ne trouvais auprès d’elle que son mari, qui dépensait en récits enjoués et en douces causeries les heures qui le préparaient au sommeil. Quelquefois je n’y rencontrais qu’un ou deux amis de la maison. Ils entraient un instant, apportant la nouvelle ou l’émotion du jour. Ils donnaient à l’amitié les prémices de leur soirée, achevée ensuite dans les salons politiques. C’étaient le plus habituellement des hommes parlementaires, des orateurs éminents des deux chambres, Suard, Bonald, Mounier, Rayneval, Lally-Tollendal, vieillard a l’âme juvénile ; Lainé, le plus pur calque de la vertu