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TOUSSAINT LOUVERTURE.

LUCIE.

D’un cœur reconnaissant tu les aimas tous deux ?

ADRIENNE.

Oui, mais je me sentais bien plus sœur de l’un d’eux.

LUCIE.

Isaac, le plus jeune, est l’amour de sa mère.

ADRIENNE.

Non, Albert, le plus grand, est l’orgueil de son père.
Je ne sais quel instinct m’attirait plus vers lui,
Comme si mon étoile à son front avait lui.
Albert aussi m’aimait, je veux du moins le croire,
J’étais son amitié, comme il était ma gloire.
Quand l’un était absent, l’autre cherchait toujours ;
Nos yeux s’entretenaient des heures sans discours.
Le petit Isaac, inhabiles à comprendre,
D’un sentiment jaloux ne pouvait se défendre ;
Il nous disait tout triste, avec son humble voix :
« Pourquoi suis-je tout seul lorsque nous sommes trois ? »
Ô jours délicieux ! ô ravissante aurore
De deux cœurs où l’amour rayonne avant d’éclore !
Jeux naïfs de l’enfance, où le secret surpris
Se trahit mille fois avant d’être compris !
Pas qui cherchaient les pas, mains dans les mains gardées ;
Confidences du cœur dans les yeux regardées ;
Promenades sans but sur des pics hasardeux,
Où l’on se sent complet parce que l’on est deux ;
Source trouvée à l’ombre où la tête se penche ;
Fruits où l’on mord ensemble en inclinant la branche ;
Une heure effaça tout. Le jour vint ; il partit…
Je restai seule au monde, et tout s’anéantit.

LUCIE.

S’il t’aimait, à partir quoi donc pût le résoudre ?