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RAPHAËL

un jardin en terrasse d’une jolie maison qu’on appelle la maison Chevalier.

Du bord de cette terrasse, le regard plane en liberté sur la ville, sur le lac, sur les gorges du Rhône, sur les plateaux étagés, sur les cols et sur les cimes du paysage alpestre dont ce lieu est comme la plate-forme élevée au milieu d’un panorama. Nous y restâmes assis sur un tronc d’arbre couché à terre, accoudés sur le mur en parapet de la terrasse, muets, immobiles, regardant tour à tour ou tout à la fois les différents sites que nous avions remplis, depuis six semaines, de nos regards, de nos pas, de nos entretiens, de nos soupirs. Quand ces sites se furent tous successivement éteints dans le crépuscule et dans l’ombre ; quand il ne resta plus qu’un peu de lumière tardive dans un coin de l’horizon, au couchant, nous nous levâmes comme en sursaut tous deux sans nous être concertés ; nous nous enfuîmes en regardant encore en vain derrière nous, comme si une main invisible nous eût chassés de cet Éden, en repliant cruellement sur nos pas toute cette décoration de notre bonheur et de nos amours.

LVIII

Nous rentrâmes. La soirée fut morne. Cependant je devais accompagner Julie sur le siége de sa voiture, jusqu’à Lyon. Quand l’aiguille de sa petite pendule eut marqué minuit, je sortis pour la laisser prendre un peu de repos jusqu’au matin. Elle m’accompagna vers la porte. Je l’ouvris : « À demain ! » lui dis-je en baisant sa main qu’elle me tendit dans le corridor. Elle ne répondit rien ; mais je l’entendis murmurer en sanglotant entre ses lèvres,