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RAPHAËL

l’âme elle-même, l’ubiquité, l’universalité et l’immortalité de l’esprit. Rassurez-vous, vous qui aimez, le temps n’a de puissance que sur les heures, aucune sur les sentiments.

LVII

J’essayai de parler ; je ne le pus pas. Mes sanglots parlèrent, mes larmes jurèrent. Nous nous levâmes pour rejoindre les muletiers. Nous revînmes, au soleil couchant, par la longue allée de peupliers défeuillés où elle avait tenu si longtemps ma main pendant notre première route ensemble dans le palanquin. En traversant le long faubourg de chaumières qui précède la porte de la ville, et en traversant la place et la rue montante d’Aix, des visages tristes nous saluaient aux fenêtres et sur le seuil des portes, comme les âmes tendres saluent au départ deux hirondelles attardées qui vont quitter les dernières les créneaux des murs d’une ville. Les pauvres femmes se levaient du banc de pierre où elles filaient près de leurs maisons ; les enfants quittaient leurs chèvres et leurs ânes qu’ils ramenaient des prés ; tous venaient adresser, ceux-là un regard, ceux-là un mot, ceux-là une inclination muette à la jeune dame et à celui que tous croyaient être un de ses proches. Elle était si belle, si gracieuse à tous, si aimée ! on eût dit que c’était le dernier rayon de l’année qui se retirait de la vallée.

Quand nous fûmes tout à fait en haut de la ville, nous descendîmes de nos mulets. Nous congédiâmes les enfants. Ne voulant pas perdre une heure de ce dernier jour qui ne s’éteignait pas encore sur les neiges roses des Alpes, nous gravîmes lentement et seuls un chemin creux qui mène à