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RAPHAËL

de deux âmes trop pleines, vers l’abîme sans fond de toutes les pensées, c’est-à-dire vers l’infini et vers le mot qui seul remplit l’infini : Dieu.

J’étais étonné, quand je prononçais ce dernier mot avec l’enthousiaste bénédiction de cœur qui contient toute une révélation dans un accent, j’étais étonné de la voir détourner ou abaisser ses regards et cacher dans les plis de ses beaux sourcils ou dans les coins de sa bouche distraite une peine ou une incrédulité triste qui me paraissait en contradiction avec nos élans. Un jour je lui en demandai timidement la raison.

« C’est que ce mot me fait mal, me répondit-elle.

» — Et comment, repris-je, le mot qui contient le nom de toute vie, de tout amour et de tout bien, peut-il faire mal à la plus parfaite de ses créations ?

» — Hélas ! répliqua-t-elle avec l’accent d’une âme désespérée, c’est que ce mot contient pour moi l’idée de l’être dont j’ai le plus passionnément désiré que l’existence ne fût pas un rêve, et que cet être, ajouta-t-elle d’une voix plus sourde et plus affaissée, n’est pour moi et pour les sages dont j’ai reçu les leçons que la plus merveilleuse mais la plus vide des illusions de notre pensée !

» — Quoi ! lui dis-je, vos maîtres ne croient pas à un Dieu ? Mais vous qui aimez, pouvez-vous ne pas y croire ? Y a-t-il donc une palpitation de nos cœurs qui ne soit une proclamation de l’infini ?

» — Oh ! se hâta-t-elle de répondre, n’interprétez pas en démence la sagesse des hommes qui m’ont soulevé les voiles de la philosophie, et qui ont fait briller à mes yeux le grand jour de la raison et de la science, à la place de la lampe fantastique et pâle dont les superstitions humaines éclairent les ténèbres répandues autour de puériles divinités. C’est au Dieu de votre mère et de ma nourrice que je ne crois plus, ce n’est pas au Dieu de la nature et des sages.