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RAPHAËL

d’écume, je lavai mes yeux battus et rouges d’insomnie, je peignai mes cheveux en désordre, je mis mes guêtres de cuir de chasseur de chamois des Alpes, je pris mon fusil, je descendis à la table commune, où le vieux médecin déjeunait avec sa famille et ses hôtes.

XL

On s’entretint à table de la tempête sur le lac, du danger qu’avait couru la jeune étrangère, de son évanouissement à Haute-Combe, de son absence de deux jours, du bonheur que j’avais eu de la rencontrer et de la ramener la veille. Je priai le médecin d’aller lui demander pour moi la permission de m’informer de sa santé et de l’accompagner dans ses courses. Il redescendit avec elle plus belle, plus touchante et plus rajeunie par le bonheur qu’on ne l’avait encore vue. Elle éblouissait tout le monde, elle ne regardait que moi. Moi seul je comprenais ses regards et ses mots à double interprétation. Ses guides l’enlevèrent avec des cris de joie sur le fauteuil à marchepied flottant qui sert de selle aux femmes de Savoie. Je suivis à, pied le mulet aux clochettes tintantes qui la portait, ce jour-là, aux chalets les plus élevés de la montagne.

Nous y passâmes la journée tout entière, presque sans nous parler, tant nous nous entendions déjà, complètement sans paroles ; occupés tantôt à contempler la lumineuse vallée de Chambéry, qui semblait se creuser et s’élargir à mesure que nous nous élevions davantage ; tantôt à, nous arrêter sur le bord des cascades, dont la fumée colorée par le soleil nous enveloppait d’arcs-en-ciel ondoyants, qui nous semblaient l’encadrement surnaturel et l’auréole mystérieuse de notre bonheur ; tantôt à cueillir les dernières