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RAPHAËL

bonheur serait une faute pour vous ! et pour moi… je descendrais de l’élévation où vous m’avez placée !… »

L’excès de mon émotion, l’impétueux élan de mon cœur vers cette voix, la violence morale qui me repoussait, me firent tomber anéanti, dans l’attitude d’un homme blessé à mort, sur le seuil de cette porte fermée. Je l’entendis, elle, marcher longtemps de l’autre côté de la porte. Nous continuâmes, une partie de la nuit, à causer à voix basse. Paroles intimes, inusitées dans la langue ordinaire des hommes, flottantes entre le ciel et la terre, souvent interrompues de longs silences, pendant lesquels les cœurs se parlent d’autant plus que les mots manquent davantage aux lèvres. À la fin, les silences devinrent plus longs, les voix plus éteintes, et je m’endormis de lassitude, la joue contre le mur et les mains jointes sur mes genoux.

XXXIX

Quand je m’éveillai, le soleil, déjà très-haut dans le ciel, inondait ma chambre de réverbérations lumineuses. Les rouges-gorges d’automne piétinaient et becquetaient en gazouillant les vignes et les groseilliers sous ma fenêtre ; toute la nature semblait s’être parée, illuminée et animée pour fêter le jour de notre naissance à une nouvelle vie. Tous les bruits de la maison me semblaient joyeux comme moi. Je n’entendais que les pas légers de la femme de chambre qui allait et venait dans le corridor, pour porter le déjeuner à sa maîtresse ; les voix enfantines des petites filles de la montagne qui lui apportaient les fleurs des bords du glacier ; les trépignements et les sonnettes des mulets qui l’attendaient dans la cour, pour la conduire au lac ou aux sapins. Je changeai mes vêtements souillés de poussière et