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RAPHAËL

ombre que le soleil couchant jetait à gauche, sur l’herbe du verger, comme un linceul mobile qui suivait la jeunesse et l’amour pour les ensevelir avant le temps ! Je sens encore la douce tiédeur de son épaule contre mon cœur et le battement d’une des tresses de ses cheveux que le vent du lac jetait contre ma figure et que mes lèvres s’efforçaient de retenir pour avoir le temps de les baiser ! Ô temps ! que de joies infinies de l’âme tu ensevelis dans une pareille minute ! ou plutôt, que tu es impuissant pour ensevelir, impuissant pour faire oublier !

XXXIII

La soirée était aussi calme et aussi tiède que la veille avait été orageuse et glaciale. Les montagnes nageaient dans une légère teinte violette qui les grandissait en les éloignant ; on ne pouvait dire si c’étaient des montagnes ou de grandes ombres mobiles et vitrées à travers lesquelles on aurait pu entrevoir le ciel chaud de l’Italie. L’azur était tacheté de petites nuées pourpres, semblables aux plumes ensanglantées qui se détachent de l’aile d’un cygne déchiré par des aigles. Le vent était tombé avec le jour.

Les vagues allongées et nacrées ne jetaient plus qu’une petite frange d’écume au pied des rochers, d’où pendaient les feuilles trempées des arbustes. Les légères fumées des chaumières hautes, dispersées sur les flancs du mont du Chat, montaient ça et la ; elles rampaient contre la montagne pour s’élever, tandis que les cascades descendaient dans les ravins comme des fumées d’eau. Les vagues du lac étaient si transparentes, qu’en nous penchant hors de la barque nous y voyions l’ombre des rames et nos visages