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RAPHAËL

bois de Saint-Cloud et de Meudon avec lui ; le soir, un petit nombre d’amis, la plupart graves et âgés, discourant de tout dans la liberté de la confidence. Tous ces cœurs froids mais indulgents semblaient entraînés vers ma jeunesse. Le sentiment redescend du cœur des vieillards comme l’eau des sommets couverts de frimas. Voila toute ma vie. Jeunesse noyée sous cette neige de cheveux blancs ; atmosphère tiède de ces haleines de vieillards qui me conservait, mais qui finit par m’alanguir. Il y avait trop d’années entre ces âmes et la mienne. Oh ! que n’aurais-je pas donné pour avoir un ami ou une amie de mon âge ? pour réchauffer un peu à ce contact mes pensées qui se congelaient en moi comme la rosée du matin sur une plante trop près des glaciers de ces montagnes ?

» Mon mari me regardait souvent avec tristesse, il semblait s’alarmer de la langueur de ma voix et de la pâleur de mes traits. Il aurait voulu à tout prix donner de l’air à mon âme et du mouvement à mon cœur. Il ne cessait de me convier à toutes les diversions agréables propres et m’arracher à ma mélancolie. Il me confiait aux femmes de sa société ; il me forçait tendrement à me montrer dans les fêtes, dans les bals et dans les spectacles ; Le resplendissement de ma jeunesse et de ma figure pouvait m’y donner à moi-même la joie et l’orgueil de l’enivrement que je répandais autour de moi. Le lendemain il entrait dans ma chambre, à mon réveil. Il me faisait raconter l’impression que j’avais produite, les regards que j’avais attirés, les cœurs même que j’avais paru émouvoir. « Et vous, me disait-il avec un ton de douce interrogation, vous ne sentez donc rien de tout ce que vous inspirez autour de vous ? Votre cœur de vingt ans est donc né vieux comme le mien ? — Votre amitié me suffit, lui répondais-je ; je ne souffre pas, je ne rêve rien, je suis heureuse. — Oui, reprenait-il, mais vous vieillissez à vingt ans ! Oh ! son-