Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
RAPHAËL

des îles ; le visage d’un ovale qui commençait à s’amaigrir vers les tempes et au-dessous de la bouche ; la physionomie d’une pensée plutôt que d’un être humain. Et par-dessus cette expression de rêverie générale, une langueur indécise entre celle de la souffrance et celle de la passion, qui ne permettait plus au regard de se détacher de cette figure sans en emporter l’image.

En tout, c’était l’apparition d’une âme sous les traits de la plus délicate beauté.

Je la saluai respectueusement, en passant rapidement dans l’allée devant elle ; mon attitude réservée et mes yeux baissés semblaient lui demander pardon de l’avoir involontairement distraite. Une légère rougeur teignit ses joues pâles a mon approche. Je rentrai dans ma chambre tout tremblant, comme si le frisson du soir m’avait saisi. Je vis, quelques minutes après, la jeune femme rentrer aussi dans la maison en jetant un regard indifférent sur ma fenêtre. Je la revis aux mêmes heures, les jours suivants, dans le jardin ou dans la cour, sans jamais avoir ni la pensée ni l’audace de l’aborder. Je la rencontrais quelquefois jusque dans les pelouses des chalets, conduite par de petites filles qui chassaient son âne et qui lui cueillaient des fraises ; d’autres fois, dans sa barque, sur le lac. Je ne lui donnais d’autre signe de voisinage et d’intérêt qu’un salut respectueux et grave ; elle me le rendait avec une mélancolique distraction, et nous suivions chacun notre chemin sur la montagne ou sur l’eau…

XII

Et cependant je me sentais triste et désorienté le soir, quand je ne l’avais pas rencontrée pendant la journée. Je