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RAPHAËL

V

L’automne était doux, mais précoce. C’était la saison où les feuilles frappées le matin par la gelée et colorées un moment de teintes roses pleuvent à grande pluie des vignes, des cerisiers et des châtaigniers. Les brouillards s’étendaient jusqu’à midi comme de larges inondations nocturnes dans tous les lits des vallées ; ils ne laissaient au-dessus d’eux que les cimes à demi noyées des plus hauts peupliers dans la plaine, les coteaux élevés comme des îles, et les dents des montagnes comme des caps ou comme des écueils sur un océan. Les coups de vent tièdes du midi balayaient toute cette écume de la terre quand le soleil était monté dans le ciel. Engouffrés dans les gorges de ces montagnes et froissés par ces rochers, ces eaux et ces arbres, ils avaient des murmures sonores, tristes, mélodieux, puissants ou imperceptibles, qui semblaient parcourir en quelques minutes toute la gamme des joies, des forces ou des mélancolies de la nature. L’âme en était remuée jusqu’au fond. Puis ils s’évanouissaient comme les conversations d’esprits célestes qui ont passé et qui s’éloignent. Des silences, comme l’oreille n’en perçoit jamais ailleurs, leur succédaient et assoupissaient en vous jusqu’au bruit de la respiration. Le ciel reprenait sa sérénité presque italienne. Les Alpes se noyaient dans un firmament sans ombre et sans fond ; les gouttes des brouillards du matin tombaient en retentissant sur les feuilles mortes ou brillaient en étincelles sur les prés. Ces heures étaient courtes. Les ombres bleues et fraîches du soir glissaient rapidement, dépliées en linceul sur ces horizons qui avaient à peine joui de leurs derniers soleils. La nature semblait mourir, mais comme