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DES ESCLAVES.

et qui, en chérissant avant tout sa propre patrie, laisse déborder ses sympathies au delà des races, des langues, des frontières, et qui considère les nationalités diverses comme les unités partielles de cette grande unité générale dont les peuples divers ne sont que les rayons, mais dont la civilisation est le centre ! C’est le patriotisme des religions, c’est celui des philosophes, c’est celui des plus grands hommes d’État ; ce fut celui des hommes de 89, celui de vos pères, celui qui, par la contagion des idées, a conquis plus d’influence à notre pays que les armées mêmes de votre époque impériale, et qui les a mieux conservés. Oui, nos pères de 89 nous montrèrent, en 92, comment ceux qui osaient aimer les hommes savaient mourir pour leur patrie !

Eux aussi on les calomnia, on les injuria, on chercha à les livrer à la risée et à la colère du peuple ! Eux aussi on les accusa d’être les dupes ou les complices des desseins machiavéliques de l’Angleterre pour perdre nos colonies en les régénérant : ils répondirent en montrant, en nommant leurs prétendus complices dans le parlement et dans les associations britanniques. Et qui étaient donc, et qui sont donc ces prétendus conspirateurs contre la liberté, les droits, la sûreté de nos colonies ? Ces prétendus ennemis de la France, qui étaient-ils, messieurs ? Précisément ceux qui, représentants de l’opposition en Angleterre, combattaient avec le plus de persévérance les pensées jalouses du gouvernement anglais contre nos alliés, contre l’Amérique, contre notre révolution, contre nous ! C’était Wilberforce ! c’était Shéridan ! c’était lord Holland ! c’était Fox ! c’était le parti français ! c’étaient les apôtres les plus passionnés de l’influence de votre liberté par tout l’univers ! ces hommes qui s’écriaient en plein parlement que séparer la France et l’Angleterre ce serait mutiler la civilisation européenne ; ou qui disaient, comme Fox, comme O’Connell, que la France et l’Angleterre étaient à elles deux le piédestal de la liberté moderne, le piédestal dont la statue de l’humanité s’élèverait le plus haut dans l’histoire.

Voilà ces conspirateurs ; les nommer, c’est les absoudre !

On excite les susceptibilités justement irritables des deux pays après les froissements pénibles qui ont eu lieu récemment entre les deux politiques. M. Scroble vient de toucher ce point avec autant de loyauté que de délicatesse ; je l’en remercie. Je l’aurais évité ; mais il vaut autant s’expliquer tout haut et sans réticence. Oui, on alarme à tort le sentiment public à propos d’un traité dont l’heure était mal choisie, dont l’extension et les formes étaient mal calculées, mais dont la pensée, qui est la nôtre, ne peut pas être désertée par nous, et doit être honorée, selon moi, dans les intentions de ceux qui la poursuivent.

Quoi, messieurs, parce que sur des plages limitées, sur des points déterminés avec prudence, et sur des espaces de l’océan que nous voulons définir et préciser avec toutes les garanties pour notre commerce, tous les respects pour notre honneur, ce drapeau s’unirait à celui de