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DE L’ÉMANCIPATION

d’esclaves que vous, que ces esclaves étaient plus chers, et qu’elle n’a pas introduit le principe, que j’ai présenté à la chambre, d’une répartition proportionnelle de l’indemnité entre tous ceux qui ont à en profiter. Ne vous préoccupez donc pas de l’indemnité. Il n’en coûtera pas à la France par année, pendant dix ans, il n’en coûtera pas à ce noble et généreux pays, pour racheter la dignité humaine, pour cette restauration de l’humanité, ce qu’il vous en coûte pour la restauration d’un de vos monuments de chaux et de pierre.

Eh bien, messieurs, en présence d’un si léger sacrifice pour un aussi inappréciable avantage, céderez-vous toujours, céderez-vous sans fin à ces éternels ajournements que l’intérêt privé vous objecte ? On vous dit : « Attendez l’exemple de l’Angleterre, attendez quatre ans. » Mais, messieurs, dans quatre ans il sera trop tard ; les Antilles anglaises seront libres, et la contagion de la liberté viendra soulever vos Antilles. L’exemple de l’Angleterre ! Mais vous l’avez sous les yeux. Je suis prêt à donner à la chambre communication des documents les plus authentiques, qui prouvent que apprentissage réussit, et que le travail libre succède sans difficulté au travail forcé. L’exemple de l’Angleterre ! Ah ! plût à Dieu que nous ne l’eussions pas attendu ! Un peuple comme nous devrait s’indigner d’attendre l’exemple de l’Angleterre pour racheter la liberté humaine, lui qui a tant fait pour racheter la liberté civile, la liberté politique.

Eh bien, messieurs, la chambre veut-elle m’accorder deux minutes ? je lui expliquerai en peu de mots quels sont les prétendus résultats funestes de l’expérience anglaise.

Cette expérience, la voici : le parlement anglais a prononcé l’émancipation par acte du 28 août 1833. Il est parti de ce principe qu’il fallait assurer d’abord bon ordre et compensation ; bon ordre, parce qu’un gouvernement ne doit dans aucun cas constituer l’anarchie au nom d’un principe ; compensation, parce qu’un gouvernement ne dépossède pas une loi immorale dont toute la société est complice aux dépens d’une seule catégorie de citoyens.

L’acte du parlement constitue un état intermédiaire entre la liberté et l’esclavage, appelé apprentissage.

Il crée trois classes d’apprentis laboureurs : les uns attachés au sol, les autres non attachés au sol, les autres enfin non prédiaux : ce sont les enfants au-dessous de douze ans.

Les apprentis attachés au sol sont libres de fait en 1840 ; les apprentis non attachés au sol dès 1838.

Les maîtres peuvent affranchir auparavant.

Des juges de paix spéciaux ont été institués en nombre suffisant : cinquante-six à la Jamaïque, par exemple. Ces magistrats visitent les habitations pour leurs audiences, et décident sur toutes les difficultés entre les maîtres et les esclaves.