Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15

aurait pris le parti de se débarrasser de tous les chefs noirs qui resteraient en son pouvoir, Laplumeret, Sablinet, qui vivent encore, auraient dû subir le même sort. La mort de Maurepas est l’effet d’une vengeance particulière dont j’ai bien ressenti ma part. Je ne fais assurément aucun cas de l’estime de Christophe et de Pétion ; cependant j’ai été peiné d’avoir été soupçonné par eux d’avoir livré Maurepas, dont, je le répète, je n’ai jamais reçu que de bons offices, et sur lequel, j’ose le dire, le capitaine général pouvait compter. Ce supplice ne produisit qu’un mauvais effet ; il décida l’entière défection des noirs, nous aliéna les indifférents, et une guerre à mort entre les deux couleurs fut dès ce moment déclarée. Quels hommes a-t-on noyés à Saint-Domingue ? des noirs faits prisonniers sur le champ de bataille ? non ; des conspirateurs ? encore moins ! On ne jugeait personne : sur un simple soupçon, un rapport, une parole équivoque, deux cents, quatre cents, huit cents, jusqu’à quinze cents noirs étaient jetés à la mer. J’ai vu de ces exemples, et j’en ai gémi. J’ai vu trois mulâtres frères subir le même sort. Le 28 frimaire ils se battaient dans nos rangs, deux y furent blessés ; le 29 on les jeta à la mer, au grand étonnement de l’armée et des habitants. Ils étaient riches et avaient une belle maison qui fut occupée deux jours après leur mort par le général. »

On sait comment l’infortuné Toussaint Louverture, arraché de sa patrie, fut amené en France et n’y trouva que l’hospitalité d’une prison d’État, au lieu de l’asile et des honneurs qu’on lui avait fait espérer. Cet homme, tout ébloui encore de l’importance qu’il avait acquise, tout superbe encore de l’autorité souveraine qu’il venait d’exercer, tout