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DES ESCLAVES.

l’air de la liberté qui souffle des colonies anglaises ; la population noire qui s’accroît dans les nôtres rendrait dans peu d’années le rachat plus onéreux, impossible peut-être. Le moment est opportun, nous sommes en paix, nous sommes en progrès moral et en mouvement législatif, nos capitaux abondent, nous en versons avec profusion sur toutes les entreprises industrielles ; ouvrons un emprunt pour le rachat de l’homme, jetons ou plutôt prêtons quelques millions à une entreprise de l’humanité. Les principes sont aussi des capitaux pour un peuple, et les intérêts de ces capitaux, la Providence les lui paye avec usure, et Dieu en tient compte à sa postérité ! Qu’attendons-nous, messieurs ? Indépendamment de ce résultat tout moral, vous aurez des colonies mieux cultivées par le travail libre, où les procédés les plus économiques, les machines et les industries qu’elles exigent s’établiront ; une population plus nombreuse et plus riche, qui consommera une somme bien plus forte des produits industriels de la métropole ; les denrées coloniales, le sucre surtout, à meilleur marché sur le continent et devenant accessibles à la consommation de toutes les classes ; une réduction notable dans vos forces militaires aux colonies et dans la mortalité des troupes que vous êtes forcés d’y tenir.

Le remboursement de quatre-vingts millions que vos colonies doivent au commerce de la métropole, et dont elles s’acquitteraient avec le produit de l’indemnité.

Enfin la réclamation de la dignité humaine dans les esclaves et dans les maîtres eux-mêmes, car la possession de l’homme corrompt celui qui possède autant que celui qui est possédé !

Messieurs, sondons quelquefois nos consciences ! Il y a un peuple qui s’appelle libre, qui n’a dû cette liberté qu’à notre sympathie pour l’indépendance humaine, ce sont les Américains. Eh bien, messieurs, en face de ce congrès où retentissent du matin au soir ces beaux noms d’indépendance, de dignité humaine, de droits imprescriptibles, d’inviolabilité des droits naturels, vous voyez passer des files d’hommes, de femmes, d’enfants, de jeunes filles, enchaînés les uns aux autres par des carcans qui les empêchent même d’incliner la tête pour cacher leur honte ou leurs larmes, et qui protestent devant le ciel et la terre contre l’hypocrite philanthropie de ce peuple qui ne veut la liberté et la justice que pour lui ; et nous, messieurs, qui recherchons avec tant de jalousie et de scrupule ce qui peut nous manquer en droits individuels, civils, constitutionnels, nous qui nous interrogeons sans cesse nous-mêmes avec tant de scrupules pour savoir si quelque faculté humaine n’est pas suffisamment garantie dans nos lois, et qui souffrons comme le Sybarite du moindre pli de servitude qui pourrait nous blesser ou nous gêner seulement dans le tissu de nos législations, pensons-nous quelquefois qu’à quelques journées de nos rivages, sous le même Dieu, sous la même loi, sous le même drapeau que nous, il y a des milliers d’hommes qui ne connaissent ni