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DES ESCLAVES.

prix aux yeux d’un peuple chrétien, le principe de la liberté et de la dignité des enfants de Dieu.

L’expérience de la liberté est en faveur de l’émancipation. Le discours d’ouverture du parlement de 1835, rédigé par des hommes d’État longtemps adversaires de cette mesure, est un témoignage que vous ne pouvez récuser : il n’y a pas de meilleurs témoins que des témoins qui confessent leur prévention et leur erreur. Les colonies espagnoles sont encore sous le régime de l’esclavage. Mais il faut le dire à l’honneur d’une religion qui s’interpose au nom de Dieu entre le maître et l’esclave pour tempérer la tyrannie de l’un et adoucir la résignation de l’autre, l’esclavage dans les colonies espagnoles n’est plus qu’un mot, l’esclave peut se racheter tous les jours. Cette faculté, qui le soutient par l’espérance, est une liberté véritable et commande au maître une sorte de paternité.

Dans cet état de choses il est impossible que nos colonies ne s’agitent pas. Les esclaves entendent parler tous les jours de l’émancipation de leurs frères dans les colonies anglaises ; l’impatience de la liberté les remue, ils attendent, ils complotent, ils désertent en grand nombre ; le gouvernement et les conseils coloniaux craignent avec raison cette contagion de la liberté qui se répand sur nos îles comme un fléau, et qui devrait s’y répandre comme un bienfait ; ils vous demandent de nouvelles mesures, les événements prévus ou imprévus les forceront à vous en demander de plus onéreuses au trésor ; vous les accorderez, parce qu’il faut à tout prix protéger les propriétés et les vies de nos compatriotes, et, de nécessités en nécessités, de crédits en crédits ajoutés aux trente millions que vos colonies coûtent déjà depuis longtemps à la France, vous aurez dépassé, peut-être, le chiffre des dépenses que l’émancipation aurait coûtées au pays ! Vous aurez payé pour retenir dans les fers, dans l’oppression, dans l’immoralité, dans le concubinage, dans la privation de tout ce qui constitue l’humanité, trois cent mille esclaves ! plus qu’il ne vous en aurait coûté pour appeler toute une race d’hommes à la liberté, au travail volontaire, à la famille, à la religion, à la civilisation et à la vertu ! Voilà, messieurs, l’inévitable effet de ces ajournements éternels des principes qui, en perpétuant le mal dans le présent, ruinent la conscience des peuples, ruinent les mœurs, ruinent le trésor, et rendent le remède plus impossible dans l’avenir !

Je sais que quelques personnes, même dans cette nation si juste, si généreuse, si libre, si jalouse de ses moindres droits, contestent plus haut que jamais qu’aucun remède soit nécessaire, soit applicable à l’esclavage. J’ai entendu sur cette question ce mot terrible sortir d’une bouche éloquente et chrétienne : « À l’égard de l’émancipation des noirs, silence toujours, inaction toujours ! » Silence ? oui. Si vous agissiez, nous nous tairions pour ne pas compromettre vos mesures. Inaction toujours ? Puisque vous avouez cette pensée d’éternelle oppression, puisque vous consacrez en principe et en fait la permanence de l’esclavage et le droit