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TOUSSAINT LOUVERTURE.

rochambeau, à haute voix et lentement, en faisant des gestes aux troupes blanches avec son épée.

Souviens-toi du consul ! C’est le moment d’être homme :
L’Europe te regarde et ton honneur te somme !

Albert hésite et veut remonter. Au même instant deux officiers
gravissent la pente, prennent Albert sous les bras et l’entraînent.
le moine, à Toussaint.

Tu vois !

toussaint.

Tu vois !Je sens en moi chanceler ma raison !
Mon fils ! reviens, je cède !…

le moine.

Mon fils ! reviens, je cède !…Ô honte ! ô trahison !
C’est un peuple qu’il cède !

toussaint.

C’est un peuple qu’il cède !Eh bien, non, c’est mon âme !

Adrienne et Isaac se tiennent embrassés convulsivement en voyant disparaître Albert. — Toussaint, égaré, chancelant, marchant à tâtons en étendant les bras à droite et à gauche, se précipite sur les pas de son fils ; il articule quelques mots confus lentement entrecoupés.

Ah ! ces grands fondateurs n’avaient ni fils ni femme !
De la nature en eux Dieu seul était vainqueur !
Mais moi !… Vous triomphez, ô blancs !… j’avais un cœur !

Il tombe évanoui sur un tertre. — Adrienne, le moine, Isaac le suivent, se penchent sur lui pour le ranimer et le relever ; Isaac lui jette ses bras autour du cou.
isaac.

Je t’aimerai pour, deux, mon père !

le moine, à genoux.

Je t’aimerai pour, deux, mon père !Le génie,
Rédemption d’un peuple, a donc son agonie !
Père, qui de ton fils contemples la sueur,
Soutiens-le sur sa croix !

On entend une rumeur sourde croissant dans les vallées et dans les gorges sous le plateau. — On voit briller aux premières clartés du soleil levant des baïonnettes se glissant sous les mornes.