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ce nom ; il est âgé de quarante ans. Il fut amené très-jeune à Saint-Domingue par un Anglais ; il y est resté longtemps domestique d’auberge ; tel était encore son état lorsque la révolution éclata dans la colonie ; il a pris une grande part dans les troubles de cette île. C’est Toussaint qui l’a fait général de brigade, aussi lui est-il très-attaché. Christophe est très-bien fait de sa personne. On ne saurait imaginer à quel point cet homme a l’usage du monde ; doué des formes les plus séduisantes, il s’explique avec beaucoup de clarté et parle bien le français. Quoique très-sobre, il aime néanmoins l’ostentation ; il est instruit, vain jusqu’au ridicule, enthousiaste de la liberté. Combien de fois ne m’a-t-il pas dit que si jamais on osait parler de remettre sa couleur en esclavage, il incendierait jusqu’au sol de Saint-Domingue ! Il avait pour le général Debel une antipathie insurmontable. D’où provenait-elle ? Je le sais bien ; mais il ne faut pas que tout soit connu.

» Christophe n’est pas cruel ; je suis sûr qu’il se fait violence quand il use de mesures de rigueur. Il commanda le Cap après la mort de Moïse, et il s’y était fait généralement aimer de toutes les couleurs. Aujourd’hui, c’est un ennemi irréconciliable très-dangereux, et qui jouera un grand rôle par ses talents militaires.

» Dessalines est un noir du Congo ; il est âgé de quarante-cinq ans. Sa physionomie est dure ; lorsqu’il entre en fureur le sang lui sort par les yeux et par la bouche. C’est l’Omar de Toussaint ; il le regarde comme un dieu, et dans le culte qu’il rend à son idole il entre autant de politique que d’attachement. De quelle bienveillance ne l’a pas comblé